Eté 2006...

Le hameau d'Ailefroide coule des jours paisibles. Devant la chapelle, le bureau des guides ou la fontaine, les grimpeurs s'agitent... Ils passent et repassent, accompagnés du cliquetis des mousquetons qui pendent aux baudriers.

Certains, les plus hardis, partent même du village chaussons d'escalade aux pieds, l'air conquérant. Souvent, c'est ceux-là même qui rentrent le soir un peu tard et passablement rougeauds après avoir livré quelques rudes batailles sous un soleil de plomb. Il est vrai qu'après s'être généreusement enduit le corps de crème solaire, les prises semblent glissantes et la gravité grandissante.

D'autres n'arrivent que le soir venu, quand l'air est plus frais. Ils sont équipés de volumineux tapis de sol, et de brosses à dents à l'aide desquelles ils nettoient frénétiquement les prises. Après s'être blanchi les mains de magnésie, ils tentent de s'agripper à d'infâmes aspérités sur des bouts de rochers liliputiens, en comparaisons aux montagnes qui les cerclent. Il paraîtrait que parmi eux, certains sont de "pures lumières du rocher".


                   

        

Les alpinistes eux, ne font que passer, on les voit peu. On en apperçoit tout de même certains qui rentrent de la traversée du Pelvoux. Ils arrivent titubant, transpirant, les pieds bardés de compeed et d'élastoplast. Au bord de l'épuisement total, ils se délestent enfin de leur sac à dos hérissé de moult pointes acérées, puis s'affalent à la terrasse d'un bar pour se réhydrater. Souvent, une fois les muscles refroidis, ils auront du mal à marcher jusqu'à la voiture et ne pourront chausser que des tongs pour le restant de leurs vacances.

Bref, à Ailefroide on voit de tout... C'est précisement dans ce contexte que j'ai proposé à mes collègues du Bureau des guides des Ecrins ainsi qu'au principal équipeur du site, le déséquipement de la "la Snoopy". Il s'agit d'une des plus classique voies d'escalades d'Ailefroide, et mon idée est de la rendre à nouveau grimpable avec les coinceurs comme uniques moyen de protection : comme l'avait décidé l'ouvreur.

      

Ma proposition à l'effet d'une bombe dans le microcosme grimpant local.

S'ensuit une série d'E-mail et discussions aux propos plus ou moins virulents durant lesquels je suis catalogué au rang d'ayatollah ou d'extrémiste. Bien qu'ayant le teint halé et étant plutôt mal rasé, je pense alors qu'il y a erreur sur ma personne et mes motivations. Comme souvent dans ces situations, beaucoup d'amalgames douteux sont faits.

En fin d'été, je me décide à écrire un texte pour expliquer calmement les choses, puis contacte l'ouvreur de la voie pour savoir ce qu'il en pense. Prenant mon rôle très à coeur, j'en viens même à créer le logo du F.L.S : le "Front de libération de la Snoopy" dont je suis l'unique membre.

Depuis, textes et logo dorment tranquillement dans les méandres de mon disque dur.

En ce printemps 2007, je profite du temps libre que m'offre une blessure au poignet et de la mise à contribution de quelques sujets photogéniques, pour faire un peu de publicité au FLS par le biais de ce site.

                                                              Bonne lecture,

                                                                           Sébastien Foissac - Avril 2007

                      

                                                                                                         

 

Déséquiper la Snoopy : pourquoi ?

Petit historique :

En 1973, Bernard Gorgeon et Maxime André ouvrent la Snoopy. A cette époque le "clean climbing" arrive d'Outre Atlantique et est devenu leur façon de faire avec les premiers "hexentrics" qu'ils ont religieusemnt ramenés du Yosemite. C'est donc dans cet esprit et volontairement qu'ils se protégeront en utilisant au maximum les coinceurs. Seulement un ou deux pitons seront utilisés à l'ouverture. Aucun gollot ne sera placé même si ceux-ci sont déja utilisés à Buoux ou dans le Verdon.

                                                                

Début des années 80, c'est la généralisation de l'usage des spits. D'abord dans les secteurs écoles puis dans les grandes voies et en montagne. A Ailefroide, progressivement , les voies traditionelles sont moins fréquentées en rapport à l'engouement  pour les voies spitées.

En 1989, la Snoopy est complètement rééquipée sur spits par un membre du Bureau des guides des Ecrins. Rien n'est demandé à l'ouvreur même si le rééquipement va dans une démarche exactement inverse à la sienne : plus aucun coinceur n'est nécessaire à son parcours. Le changement de caractère rend la voie accessible à de plus nombreux grimpeurs et elle devient l'une des grandes classiques d'Ailefroide.

En 2006, Ailefroide propose maintenant un large choix de voies spitées de tous niveaux. En revanche peu de voies se prêtent à l'assurage sur coinceurs. Sébastien Foissac (Bureau des guides des Ecrins) propose le déséquipement complet des spits de la Snoopy. Cela dans un soucis de partage du terrain de jeu entre les différentes pratiques de l'escalade, mais également dans un but de préservation des voies historiques ainsi que par respect pour leurs ouvreurs.

                                 

Quelques mises au point :

Je tiens tout d'abord à préciser que je ne suis pas contre les voies sur spits et que j'y passe le plus clair de mon temps.

Malgré cela, j'aime aussi grimper dans des voies où je vais devoir poser mes propres protections.

J'éprouve également beaucoup de plaisir à parcourir des voies au caractère historique. Elles témoignent souvent d'une autre façon de pratiquer l'escalade. Pour ces raisons, j'aurai bien aimé gravir la Snoopy dans sa version originale. Je n'aurai pas eu le plaisir de le faire parce que mes aînés ont cru bon d'en modifier le caractère, m'imposant de fait leur vision de l'escalade.

Je suis toutefois conscient que la critique est aisée après coup et que seuls ceux qui ne font rien ne risquent pas de se tromper. Je dois donc admettre qu'à la place du rééquipeur et dans le même contexte, il n'est pas complètement exclu que j'eus fait la même chose.

Ma proposition de déséquipement de cet itinéraire va dans le sens d'un respect :

  • Des voies historiques.
  • Des ouvreurs.
  • Des différentes pratiques de l'escalade, même celles dites minoritaires.

Dans ce sens, mon souci est également le partage du terrain de jeu entre ces pratiques. Même si elles sont immenses, les reserves de rochers, comme celles de pétroles ne sont pas inépuisables.

Je pense aussi que la cohabitation entres les différents types d'escalades est un gage de richesse dans un site, comme on peut le constater dans le Verdon, les Dolomites, le Val d'Orco, le Yosemite, les calanques...

Les questions les plus récurentes :

  • "Où est le problème ? Vous n'avez qu'à poser vos coinceurs sans mousquetonner les spits."

A ceux-là, je vais répondre que l'intérêt d'une escalade en terrain d'aventure (TA) réside en partie dans la recherche de l'itinéraire, l'emplacement des protections et des relais. Un argument du type "vous n'avez qu'à ne pas mousquetonner les spits" démontre qu'on n'a pas compris ça ! La ligne de spits annule l'incertitude quant au cheminement, quant à la possibilité de se protéger. Bref ce n'est pas la même chose ! Pour autant l'engagement n'est pas forcément synonyme de TA, car on peut poser trois fois plus de points qu'il y en aurait dans une voie équipée, pourvu que le rocher s'y prête... (c'est le cas pour la Snoopy)

Je pourrais ajouter le plaisir une fois la voie gravie, de ne laisser sur le rocher que quelques traces de magnésie.


                    


  • "Pourquoi n'allez vous pas ouvrir de nouvelles voies ?"

Cette question est "hors sujet" puisque cela ne réglera pas le problème du respect des voies historiques et de leurs ouvreurs. A quoi cela servirait si elles doivent être elles aussi rééquipées par la suite ?

                                                             

  • "N'est ce pas un peu élitiste d'un point de vu escalade ?"

A ceux-là, je vais répondre que forcément cela va réduire le nombre de grimpeurs capable de gravir cet itinéraire. Mais je pense que c'est aux grimpeurs de choisir des voies en relation avec leur niveau et motivations, plutôt que de modifier le caractère d'une voie pour la rendre plus accessible. A l'état naturel, le rocher propose tout types et styles de difficultés.

A Ailefroide le choix est maintenant vaste en ce qui concerne les voies spitées dans cette difficulté. Le déséquipement de la Snoopy ne privera donc personne. Je précise aussi que les différents types de coinceurs modernes facilitent considérablement l'affaire en rapport avec ceux utilisés par l'ouvreur en 1973.

                                                      

 

  • "Le matériel est cher, n'est ce pas un peu élitiste financièrement ?"

A ceux-là, je vais répondre que l'escalade est forcément élitiste financièrement. Pour certains, le prix de 2 jeux de friends ne représente pas grand chose, pour d'autres l'achat d'un seul friend est hors de prix, enfin certains ne pourront jamais goûter aux joies de l'escalade puisque leur principal souci est de ne pas mourir de faim.

Où est la limite de l'élitisme financier ? Doit-on en fixer une arbitrairement ? Qui doit la fixer ? Mon avis est qu'elle doit rester propre à chacun.

   

  •  "Est-il possible de revenir en arrière maintenant ?"

Bien sûr, à condition que ce soit fait de manière consensuelle et prenant bien soin d'expliquer les choses. Il ne doit pas s'agir d'un déséquipement "sauvage". Un déséquipement permettrait de renouer avec l'histoire de la voie. Cela amènera peut être aussi la communauté des grimpeurs à avoir une réflexion sur les conséquences qu'ont leurs actes sur les libertés des autres.

Cette voie est agréable à grimper et relativement aisée à protéger, elle pourrait permettre au plus grand nombre d'acquérir les techniques nécessaires à une autre façon de grimper.

  • "Pratiquement, comment cela peut-il se faire ?"

Il suffit de démonter les plaquettes, et de couper les tiges filettées. Il faut ensuite les enfoncer de 2 à 3 mm. Il ne reste maintenant plus qu'à masquer les trous à l'aide d'un mélange de Sika et de sable.

                                                                   Sébastien Foissac - Aout 2006

PS : l'escalade c'est très sérieux, mais pas vraiment important.

                                                                                           

Un petit mot de Bernard Gorgeon, l'ouvreur de la voie en 1973 :

"Mon point de vue :

Je crois avoir tout fait en tête à l'ouverture et de ce fait je m'exprimerai en tant qu' "ouvreur principal" mais Max habite à Barcelonette et peut être contacté  pour donner son point de vue sur la question... les "nuts" ramenés effectivement du Yose en avril 73 étaient devenus mon système de protection favori exclusif. Pour moi c'était une véritable philosophie de grimper "propre"... mais cela ne m'a pas empêché de mettre des spits et des pitons par ailleurs... mais toujours le moins possible en fonction de mes qualités de grimpeur qui n'ont jamais atteint certains sommets comme les vrais grands artistes genre Preuss, Héran, ou même Guyomar, ou Guillot. On fait ce qu'on peut avec ce qu'on a.

La Snoopy a été ouverte un après midi après la sieste au camping : tiens y'a une belle ligne si on y allait... vite fait bien fait... propre. C'était les débuts de la grimpe dans la vallée... emblématique pour cela aussi.

Quand j'ai su que la Snoopy avait été rééquipée sans en avoir entendu parler... ça m'a fait un peu bizarre, mais bon, ne venant plus souvent à Ailefroide je ne me suis pas senti non plus trop "violé" dans ma propriété intellectuelle (c'eut été au Verdon ça n'aurait pas été pareil je pense). Quand on ouvre une voie on donne vie à quelquechose qui vit forcément sa vie par la suite... comme un livre ou un tableau. Et c'est bien que beaucoup de gens aient pu grimper cette ligne.

Mais la démarche de Sébastien Foissac me paraît intéressante... elle se veut consensuelle (ça c'est important et a manqué dans la démarche d'équipement) et ses arguments tiennent largement la route. Je suis donc pour un déséquipement à une condition : qu'il soit propre. Une solution pourrait être aussi d'en faire une voie "école de coinceurs" : mettre des points qui empêchent de tomber plus bas que le relais (3/longueur) et un seul au relais... à discuter... ça occupera les soirées d'automne des montagnards de la Vallouise... et d'ailleurs."

                                                                   B.Gorgeon - septembre 2006

        

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